En préambule, je dirai qu’à la lecture des documents et du rapport détaillé présentant ce Compte Administratif 2019, nous avons eu, disons-le, l’impression de lire une énième rétrospective et comparative de la situation financière passée et actuelle : analyse qui relève à notre sens davantage des prérogatives des magistrats de la Chambre Régionale des Comptes par définition plus objectifs qu’un exécutif naturellement partisan.
Nous aurions pu par exemple avec ce CA 2019, identifier je crois des marges de manœuvre, de nouveaux enjeux pour l’avenir, des investissements stratégiques à réaliser pour les territoires, bref faire de la politique et non uniquement même si c’est important de la comptabilité... Rien de tout cela donc malheureusement mais une suite de tableaux et graphiques remontant pour certains à 2007 (sur les DMTO par exemple page 13 du rapport…). Cela commence à dater…
Dans la période tout de même exceptionnelle de crise sanitaire dans laquelle nous nous trouvons, il nous semble utile, pertinent et même indispensable de regarder vers l’avenir...au risque d’avoir une nouvelle fois le même débat entre nous sur les décisions et les contraintes d’il y a 10 ans...Il est vrai que les élections départementales approchent et que c’est donc le moment de se montrer sous son meilleur jour…je crois cependant très sincèrement que les Nordistes attendent autre chose de nous…
Revenons donc aux documents rétrospectifs présentés….et donc sur lesquels nous aurons nos échanges… Vous soulignez donc dans ce document que ce Compte Administratif 2019 est le reflet de votre stratégie budgétaire depuis 2015. Dont acte. Vous avez pris les commandes du Département avec plusieurs objectifs.
Votre premier objectif était clairement la diminution des dépenses de fonctionnement. Ces dépenses ont effectivement diminué en moyenne de 0,4 % depuis 2016. Il conviendra d’en mesurer le jour venu les conséquences précises pour nos politiques départementales et pour les Nordistes.
Votre deuxième objectif était la baisse du nombre de postes au sein de la collectivité. Votre précédent Directeur Général des Services ne s’en était pas caché en déclarant d’ailleurs ainsi à la Gazette des communes en septembre 2015 « le personnel c’est 400 millions d’euros, si je réduis les coûts de 2 %, c’est déjà donc 8 millions d’euros d’économisés ». Objectif rempli, devenus une variable budgétaire et ressenti comme tel et cela est plus génant, les effectifs ont diminué considérablement. Les Équivalents Temps Plein sont passés de 7 611 postes en 2016 à 7 160 en 2019. Nous consacrions pour information en 2018, 181 euros par habitant du Nord aux frais de personnel départemental, là où notre voisin et ami du Pas-de-Calais y consacrait 209 euros par habitant soit 28 euros d’écart tout de même.
Nous avons aujourd’hui du mal à recruter des statutaires, nous devons nous interroger sur notre attractivité…nos politiques se concrétiseront uniquement avec du personnel motivé, engagé et fier de travailler pour la collectivité C’est un point qu’il faut avoir bien en tête au risque de cruelles désillusions sur l’efficience des politiques mises en œuvre.
Votre troisième objectif était le désendettement qui était pourtant loin d’être inquiétant… Vous déclariez vous-même, Monsieur le Président, à la Chronique du BTP en septembre 2015 « notre dette est importante à 1,4 milliard d’euros, mais supportable pour la taille de notre Département ». Pour autant, l’endettement est passé de 1,4 milliard millions d’euros à fin 2015 soit 533 euros par habitant à 1 milliard 182 millions d’euros à fin 2019. A endettement égal, c’est tout de même 218 millions d’euros soit 54,5 millions annuels qui auraient pu être consacrés à l’investissement pour équiper le Nord, soutenir nos entreprises et valoriser le cadre de vie et les équipements des nordistes ; vous avez fait ce choix du désendettement que nous contestons dans la période plutôt que celui de l’investissement. Nous y reviendrons.
Sur le plan des recettes, vous aviez pour objectif et même pour promesse, de ne pas augmenter la fiscalité locale. Sur ce sujet, vous avez fait un choix inverse en cours de route et décidé d’augmenter fortement les impôts départementaux. En masse, c’est tout de même plus de 400 millions d’euros qui auront été prélevés sur les ménages et entreprises nordistes sur la période 2015-2021. Cette décision qui n’est pas la plus anecdotique du mandat passe relativement inaperçue dans votre document budgétaire. Il s’agit tout de même d’une hausse de + 25,7 % du taux de la taxe sur le Foncier Bâti en 2016 que vous avez contrebalancé par une diminution du taux en 2018 brouillant un peu les cartes et assez surprenante en terme de gestion des taux de fiscalité locale mais qui reste toutefois supérieure de 13 % par rapport au taux de 2015.
Toujours sur le plan des recettes, vous avez bénéficié jusqu’à présent d’une embellie et tant mieux avec l’envolée conjoncturelle des Droits de Mutation à Titre Onéreux. A taux constant, ils sont passés de 239 millions d’euros au Compte Administratif 2014 à 367 millions d’euros au Compte Administratif 2019 (soit plus 129 millions d’euros, plus 53,55 %).Une augmentation du taux des DMTO que pour l’histoire et les archives vous n’aviez pas voté en 2014 argumentant avec force que cela allait pénaliser le marché de l’immobilier. Il n’en a rien été… bien au contraire et tant mieux. Sans cette décision courageuse prise par précédente majorité de Patrick Kanner, vous vous seriez privé aujourd’hui de votre recette la plus dynamique. Nous n’attendons pas de merci simplement plus d’objectivité de votre part sur la situation des finances départementales. Vous avez certes pris les rênes d’une collectivité fragilisée par l’augmentation explosive à partir de 2012 des allocations individuelles de solidarité versées pour le compte de l’État et non compensées.
Ce n’était pas une surprise je crois…Toutes les grandes collectivités départementales gérées par la gauche comme par la droite y ont été confrontées. Le Nord de par sa taille a encaissé le choc de plein fouet à l’époque….Le Rapport de la Chambre Régionale des Comptes sur la gestion 2010-2015 du Département du Nord pointait d’ailleurs la forte hausse des dépenses d’intervention sociale à partir de 2012 qui – je cite – « a eu pour conséquence, dans un contexte de faible évolution des recettes, d’avoir dégradé rapidement et inévitablement les équilibres financiers » de notre collectivité départementale. Votre document budgétaire rétrospectif le met en exergue et précise que le montant des allocations (RSA/APA/PCH) est passé de 761 millions d’euros au CA 2012 à 879 millions d’euros au CA 2015, soit une augmentation record de + 15,6 % en trois petites années soit tout de même plus 118 millions euros. L’augmentation à laquelle vous faîtes face depuis le début du mandat est fort heureusement plus modeste. Elle se chiffre à + 6,9%. Pour autant, le reste à charge continue de s’amplifier. Il reste en défaveur du Département qui doit assumer sur fonds propres 52 % des dépenses au titre des allocations de solidarité, soit un montant de 523,4 millions d’euros. Dans cette situation, nous sommes bien obligés de considérer comme insuffisants les fonds de stabilisation et de péréquation interdépartementale accordés. D’autant que les Départements doivent désormais se faire la charité entre eux.
En 2013 pour rappel, nous avions obtenu avec Patrick Kanner puis Didier Manier en 2014 de véritables fonds de soutien qui se chiffraient à plus de 100 millions d’euros par an pour le Nord et qui ont été pérennisés. Depuis, la solidarité nationale est en recul. Le Département du Nord doit continuer de faire face selon vos propres termes aux désengagements de l’État sur les compensations de transfert de compétences. Comme vous le notez, le concours de l’Aide Personnalisée pour l’Autonomie diminue de 4,7 % par rapport à 2018 alors que les besoins sont croissants. On estime que 66 000 personnes âgées seront dépendantes à l’horizon 2025 dans notre département.
Je ne suis pas non plus spécialement enthousiaste sur le Plan Pauvreté du Gouvernement que vous mettez en valeur dans votre document. Il apporte peut-être quelques mesures nouvelles pour certains territoires nordistes cofinancées par l’État et le Département mais les moyens (50 millions d’euros sur 3 ans) sont loin d’être à la hauteur des besoins. Il faut rappeler que 18,9 % des Nordistes vivent sous le seuil de pauvreté, soit 4,4 points de plus que la moyenne nationale. Le Nord mériterait une véritable mobilisation du pouvoir central. Ce n’est pas le cas.
Pour autant, malgré les désengagements de l’État, vous avez vous- aussi une responsabilité. Vous pouvez agir. Vous vous félicitez en effet d’avoir optimisé les recettes de fonctionnement avec une hausse de 3,7 %. Il y a donc des marges de manœuvre. Elles sont étroites mais réelles. Vous avez des possibilités.
Malgré cela, vous avez préféré en 2019 comme depuis le début du mandat conserver une gestion strictement comptable de notre collectivité. Vous dites pudiquement que les dépenses de fonctionnement sont « maîtrisées ».
Vous avez débloqué 6,9 petits millions d’euros supplémentaires pour la politique enfance, famille, jeunesse face à la mobilisation des travailleurs sociaux afin de renforcer les moyens d’accueil que vous aviez diminués au début du mandat : 700 places d’hébergement tout de même supprimées.
Les dépenses d’insertion ont quant à elles baissé de 3 % entre 2018 et les dépenses d’autonomie étaient également en recul de 1,2 %. Les dépenses d’éducation n’ont pas non plus bénéficié de moyens supplémentaires avec un taux d’évolution de 1,9 %. Les dépenses de solidarité territoriale (infrastructures, aides aux territoires, culture, SDIS) sont en diminution de 1,4 %.
Vous avez procédé au début du mandat à des réductions budgétaires dans toutes les politiques départementales malgré les besoins d’accompagnement qui sont réels dans notre département.
Vos dépenses de fonctionnement n’évoluent que de 0,9 %. Cela signifie en réalité qu’elles baissent compte-tenu de l’inflation. Le Pacte de Cahors vous autorisait à pousser les dépenses jusqu’à +1,35 %. Vous êtes bien en deçà. Cela signifie que des moyens supplémentaires auraient pu être injectés dans nos politiques de solidarités humaines et territoriales. Sans prédire l’avenir, je suis très circonspect sur la pérennité de la contractualisation État - collectivités. La crise sanitaire a fait s’effondrer bien des dogmes et démontre que la dépense publique est indispensable pour mieux accompagner les populations fragiles et précaires. La dépense publique permet de parer aux besoins les plus urgents et les plus fondamentaux. Sans dépense publique, il n’y a plus de filet de sécurité. C’est l’une des principales leçons de la crise. Dans un contexte comme le nôtre aujourd’hui, le Pacte de Cahors est tout simplement dogmatique.
La crise du coronavirus démontre également le rôle primordial des collectivités dans la relance économique. Sur le plan de l’investissement, votre exécutif évoquait au Budget Primitif 2019 un niveau d’investissement « volontariste » à hauteur de 240 millions d’euros. Il atteint au Compte Administratif 218,4 millions d’euros, soit + 14,2 millions d’euros par rapport à 2018.
L’investissement est en progression mais reste très trés modeste. Notre collectivité n’a même pas encore rattrapé son niveau d’investissement de 2014 avec 287 millions d’euros constatés au Compte Administratif 2014 contre 218 millions d’euros constatés en 2019. Nos voisins et amis du Département du Pas-de-Calais ont investi 124 euros par habitant en 2018, là où nous en avions réalisé seulement 77 euros par habitant. En 2018, à 20 millions prês, ils ont investi presque autant que nous en volume avec plus d’un million d’habitants en moins… Sur la base de leur ratio par habitant, nous aurions dû investir 327 millions en 2018 alors que nous n’étions qu’à 204 millions en 2018.
Je tiens à rappeler que sur la mandature précédente, c’est une moyenne de 314 millions d’euros d’investissement de 2011 à 2015 inclus qui a été réalisée contre 220 millions par an sur votre mandat 2016-2019 inclus.
Vous avez préféré continuer de désendetter tout en augmentant les impôts plutôt que d’investir. C’est votre choix …La capacité de désendettement de la collectivité tombe naturellement à seulement 4 années. C’est mécanique…
Or, l’urgence n’était pas et n’est toujours pas selon nous de désendetter mais de préparer l’avenir du territoire par l’investissement. A nos yeux, ce ratio de désendettement témoigne plus d’un manque d’ambition, d’une absence de projets malgré des attentes sur les territoires et de vision que d’une véritable bonne santé financière du Département. En l’absence de politiques départementales ambitieuses et d’investissements à la hauteur des enjeux de notre territoire, il est encore heureux que nous puissions compter a minima sur des indicateurs budgétaires dans le vert.
Voici Monsieur le Président les observations dont je souhaitais vous faire part au nom du Groupe Socialiste, Radical et Citoyen.
En cohérence avec notre vote sur le Budget Primitif, nous voterons contre votre trajectoire financière car nous pensons qu’une autre voie était possible et souhaitable pour renforcer nos services publics de proximité, conforter nos politiques de solidarités humaines et territoriales sur les territoires et bâtir l’avenir du Nord et des Nordistes par l’investissement en lien avec les territoires.
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