Avec son plan de sobriété sur l’eau présenté en avril, Emmanuel Macron veut adopter une tarification progressive. L’initiative a été mise en place dès 2012 par la communauté urbaine de Dunkerque.
Assise devant la table haute de sa cuisine, Valérie Pepe épluche ses factures. Cette habitante de Dunkerque (Nord) de 55 ans vit dans un appartement de 60m2 , non loin du centre-ville, avec sa fille de 25 ans. Depuis plusieurs années, elles ont adopté des réflexes pour limiter leur consommation d'eau. "Nous évitons de la laisser couler trop longtemps, nous avons remplacé les bains par des douches et installé une double chasse d'eau dans les toilettes, un système économe pour éviter de vider la cuve intégralement à chaque passage", explique cette mère de famille soucieuse "d'agir pour la planète". Un moyen aussi pour elle de ne pas dépasser un certain volume au-dessous duquel elle peut bénéficier de prix très avantageux.
Tarif social pour les foyers les plus modestes
Le 1er octobre 2012, la communauté urbaine de Dunkerque a été l'une des premières collectivités en France à expérimenter une politique de tarification progressive de l'eau. 90 000 foyers résidant dans 29 communes sont concernés. L'objectif: proposer des prix attractifs jusqu'à un certain seuil pour inciter les usagers à moins consommer. Trois tranches avec des tarifs croissants sont ainsi prévues: "L'eau essentielle" pour les 80 premiers mètres cubes, "l'eau utile" de 80 à 200 m 3 , et au-delà "l'eau de confort".
Le président de la République, Emmanuel Macron, s'est notamment dit favorable à cette solution le 30 mars dernier lors de sa présentation du plan Eau destiné à préserver la ressource sur le territoire national. Un enjeu auquel le Dunkerquois est historiquement confronté. "Les nappes phréatiques sont vides sur ce territoire, explique Bertrand Ringot, maire de Gravelines. Face à cette situation, nous étions contraints de trouver une solution pour limiter à la fois la consommation et les prélèvements de l'eau potable que nous allons chercher à 40 km d'ici, près de Saint-Omer."
Il y a quelques années, Valérie Pepe a remarqué un drôle d'intitulé sur sa facture. Il était mentionné "TS", l'acronyme de tarification sociale. Pour répondre à l'objectif de "favoriser l'accès à l'eau pour tous dans des conditions économiquement acceptables", le dispositif testé à Dunkerque a inclus un volet social. Les foyers les plus modestes et éligibles à la complémentaire santé solidaire (CSS) peuvent prétendre à un tarif encore plus réduit, sur la première tranche (0,40 €/m3 contre 1,28 €). Valérie Pepe a pu en bénéficier. Depuis plusieurs années, elle alterne périodes d'emploi et de chômage, et a été par intermittence éligible à ce tarif social. "Ma facture a baissé d'environ 30 % avec cette tarification. Ça m'a permis de faire de belles économies, se réjouit-elle." 8 600 foyers tireraient actuellement parti de ce tarif social.
Expérimentations dans 41 communes
Onze ans après le lancement de cette tarification progressive couplée à un tarif préférentiel, le bilan semble positif pour le président du Syndicat de l'eau du Dunkerquois,Bertrand Ringot. "La consommation annuelle moyenne se situait auparavant dans la moyenne nationale de 80 m 3 , et nous l'avons réduite à 67m 3 . Cette baisse de la consommation est profitable aussi bien sur le plan environnemental, puisqu'elle a permis de réduire de 10 % les prélèvements annuels en eau, que pour les usagers. 80 % d'entre eux ont vu leur facture baisser ou au moins se stabiliser."
Achevé en avril 2021, le dispositif peine à s'étendre à l'échelle nationale, comme le rapporte la mission "flash" datée du 23 février 2022. Seules 41 collectivités ont tenté des expérimentations, à travers des politiques variées: aides forfaitaires, chèque eau, aide au paiement des factures, etc. Quelques obstacles affectent la mise en place d'une tarification sociale de l'eau, comme l'accès aux données détenues par les administrations de sécurité sociale. C'est notamment via ces dernières que le Syndicat de l'eau du Dunkerquois a pu recenser les personnes bénéficiant de la CSS. "Il a fallu un peu de temps pour débloquer la situation, ici aussi", assure Daniel Ducrocq, président de l'association Consommation logement et cadre de vie à Grande-Synthe. "Avant la crise sanitaire, seulement 20 % des bénéficiaires de la CSS ont obtenu le tarif préférentiel. Aujourd'hui, il en concerne 60 %."
Repérer les familles nombreuses
Autre échange de données laborieux: celui avec la Caisse d'allocations familiales permettant de connaître la taille du foyer. "C'est notre principal cheval de bataille, car les seuils prévus par la tarification progressive ne permettent pas de faire la distinction entre des foyers composés d'une ou de six personnes, dénonce Daniel Ducrocq. Or une famille nombreuse va davantage consommer d'eau et donc plus facilement dépasser la première tranche. Cela pose un vrai problème d'équité sociale." Le modèle de tarification sociale de l'eau demeure certes imparfait, reconnaît le Syndicat de l'eau du Dunkerquois, mais il répond à l'un des dix-sept objectifs de développement durable adoptés par l'ONUen 2015: l'accès de tous à des services d'alimentation en eau et d'assainissement gérés de façon durable.
Les mesures du plan Eau à retenir
Lors d'un déplacement dans les Hautes-Alpes, le 30 mars, Emmanuel Macron a présenté son plan Eau. Objectif: mieux gérer la ressource, dont la disponibilité, selon les experts, va baisser de 10 à 40 % dans les prochaines décennies, et organiser la planification écologique. En attendant l'adoption potentielle d'un texte législatif à ce sujet, les collectivités sont invitées à mettre en œuvre une liste de 53 mesures réunies autour de cinq axes majeurs: accélérer la sobriété et faire des économies d'eau ; lutter contre les fuites ; prévenir les pollutions, les épisodes de sécheresse ; améliorer la gouvernance de la gestion de l'eau et instaurer une tarification adaptée. Emmanuel Macron a notamment publiquement encouragé la mise en place d'une tarification progressive.