Lorsque le présent est si pesant, peut-il laisser une place à la mémoire ? Lorsque le futur est si incertain, peut-on se retourner vers le passé ?
Il faut l’avouer, ce 11 novembre ne ressemble pas à un 11 novembre.
Il n’a pas le goût de victoire et de paix.
Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous rassembler en nombre devant les monuments de nos villes, pour nous souvenir ensemble de notre histoire.
Malgré tout, la Nation se retrouve par la pensée, dans l’intimité de nos foyers.
C’est donc en comité restreint que nous venons de déposer une gerbe au pied de notre monument aux morts. Ainsi, la République, la Nation, notre commune ne manquent pas ce rendez-vous sacré depuis 1918. Plus que jamais peut-être, nous sommes les porte-paroles de tous ceux qui, encore confinés, étaient habituellement, fidèlement avec nous.
J’ai d’ailleurs une pensée pour nos fidèles membres des sociétés patriotiques, et notamment à Monsieur Jacquie BROUSCQSAULT, Président de la FNACA, à nos fidèles porte-drapeaux, à nos fidèles musiciens de l’HBM, à nos fidèles membres du CMJ, et plus particulièrement au jeune Mathis DELATTRE qui devait aujourd’hui lire une lettre d’un poilu, et enfin aux membres de l’Association Gravelinoise pour la Promotion de la Musique et du Théâtre.
Aujourd’hui, nous aurions dû remettre une médaille aux anciens combattants d’Algérie :
- Monsieur Jean DELHAYE, épinglé de la Croix du Combattant
- Monsieur Michel LEROY, épinglé de la Croix du Combattant, de la reconnaissance de la Nation et ancien militaire déployé en Afrique du Nord
Nous aurions dû officialiser les noms de deux soldats morts pendant la guerre et découvert récemment :
- Monsieur Michel SAUVAGE mort pour la France pendant la guerre 39/45
- Monsieur René DUBUIS disparu en 1949 pendant la guerre d’Indochine
Aujourd’hui, nous avions prévu de mettre à l’honneur le dernier ancien combattant Gravelinois Léonce LEVACQ décédé en septembre dernier à l’âge de 98 ans.
Nous ne les oublions pas et aujourd’hui, nous sommes réunis pour leur dire merci. Nous sommes infiniment reconnaissants de leur sacrifice au péril de leur vie et de leur famille.
Car en ce 11 novembre 2020, nous commémorons pour la 102ème fois la victoire de la Paix et de l’hommage à tous les « Morts pour la France », mais c’est un jour particulier puisqu’il qu’il y a 100 ans, jour pour jour, un parmi des milliers des poilus est devenu le Soldat inconnu.
C’était il y a un siècle.
Ce 10 novembre 1920, la Grande guerre est achevée depuis deux ans. C’est à Verdun, symbole absolu de la mort de masse avec 60 millions d’obus en 10 mois, six au mètre carré, 163 000 Français tués et disparus, qu’André MAGINOT tend un bouquet d’œillets rouge et blanc à Auguste THIN, 21 ans, soldat de deuxième classe, pupille de la Nation et courageux militaire du rang qui a été le plus jeune engagé volontaire de son régiment et gazé à 18 ans. Le ministre le sait-il ? "Soldat, vous allez le déposer sur l’un des huit cercueils qui sera le Soldat inconnu". Tétanisé par l’émotion, Auguste THIN passe en revue les cercueils puis revient devant le sixième corps et pose les fleurs. Un parmi tous les combattants des Flandres, de l’Artois, de la Somme, du chemin-des-Dames, de Lorraine, de la Meuse… un de ces braves ! Un des poilus qui participa à une interminable guerre. Un de ces français qui œuvra à la tâche incommensurable de la Victoire.
Le 11 novembre 1920, le peuple de France l’accompagne solennellement sous les voûtes de l’Arc de Triomphe. La Patrie, reconnaissante et unanime, s’incline respectueusement devant son cercueil, en saluant la mémoire de tous les soldats morts sous le drapeau tricolore.
Quelque mois plus tard, le Soldat inconnu est inhumé.
Depuis 1923, la Flamme du Souvenir veille, nuit et jour, sur la tombe. Chaque soir, elle est ravivée pour que jamais ne s’éteigne la mémoire.
La sépulture du Soldat inconnu est devenu le lieu de recueillement national et le tombeau symbolique de tous ceux qui donnent leur vie pour la France. Cet anonyme représente chacun de nos morts et tous nos morts en même temps.
Le souvenir de la Grande Guerre ne s'est jamais effacé. Il est présent dans chaque village, parce qu'il n'y a pas de commune en France où un monument aux morts n'ait été érigé, parce qu'il n'y a pas de commune en France où il n'y ait pas eu de victimes de la Première Guerre mondiale. A Gravelines sont érigés cinq lieux de commémoration de la Grande Guerre: notre Monument aux morts (inauguré le 27 août 1922) sur lequel figure le fantassin et le fusiller marin, le carré militaire au cimetière des Huttes, les monuments aux morts à l’Eglise de Petit-Fort-Philippe et de Saint Willibrord, et une plaque aux victimes militaires et civils au calvaire des Huttes.
Cette mémoire vit également dans l’œuvre de Maurice GENEVOIX, « Ceux de 14 » sur les combattants de la Grande Guerre, qui fait son entrée en ce 11 novembre 2020 au Panthéon.
Grande figure de la vie littéraire française du XXe siècle, il rejoindra les 560 écrivains combattants dont les noms sont inscrits sur les murs de cette monumentale nécropole laïque.
"Pitié pour nos soldats qui sont morts ! Pitié pour nous vivants qui étions auprès d’eux, pour qui nous nous battrons demain, nous qui mourrons, nous qui souffrirons dans nos chairs mutilées ! Pitié pour nous, forçats de guerre qui n’avions pas voulu cela, pour nous tous qui étions des hommes, et qui désespérons de jamais le redevenir"… Cent ans après le choix d’Auguste THIN, ces mots de Maurice GENEVOIX résonneront demain dans les mémoires comme "Ceux de 14" entreront aussi avec l’écrivain au Panthéon.
8 millions de soldats combattirent sous les couleurs de notre drapeau, aucun d’entre eux ne revint totalement indemne. Des centaines de milliers furent blessés dans leur chair comme dans leur âme. 1 400 000 tombèrent au champ d’honneur. Nous ne les oublions pas. Inlassablement, nous les honorons.
Commémorer la Première Guerre mondiale, c'est aussi rappeler la fraternité des démocraties avec le sacrifice de ces jeunes hommes, venus des cinq continents, qui sont morts sur les champs de bataille de la Somme, de l'Aisne, de la Meuse, de la Marne, qu'ils ne connaissaient pas, pour notre propre liberté. En témoignent sur notre sol les imposants cimetières que beaucoup connaissent: britanniques, canadiens, australiens, néo-zélandais, sud-africains ou américains.
La Grande Guerre a encore beaucoup à apprendre à la France d'aujourd'hui.
Elle nous rappelle d'abord la force d'une Nation quand elle est rassemblée.
Elle nous rappelle aussi combien nous devons être exigeants pour préserver la dignité humaine.
Cette Guerre, cette Grande Guerre, si l'Histoire avait été maîtrisée, si l'humanité avait eu une raison, aurait dû être la dernière. C'était l'espoir des soldats de 1914.
Cette leçon ne doit donc pas être oubliée. Cette leçon de la Première Guerre mondiale. Rien n'est jamais acquis, rien n'est irréversible, mais rien n'est fatal non plus. Tout dépend toujours de la volonté humaine.
Vive la paix !
Vive Gravelines ! Vive la République ! Vive la France !